Longtemps la question de la fiscalité des personnes morales de droit public est restée tabou, plus particulièrement celle de la TVA.
En effet, si certains établissements publics, clairement investis d’une mission de service public, fonctionnent comme de véritables émanations de l’Etat situées hors du champ de la TVA, bon nombre d’organismes qui servent l’Etat naviguent dans des eaux fiscales beaucoup moins claires.
Et la jurisprudence communautaire est venue apporter des critères d’application de la TVA qui vont bien au-delà de la forme juridique de ces entités ou des types de recettes qu’ils perçoivent. Ainsi, tel organisme ayant une forme relevant du droit privé, par exemple une association sans but lucratif, financée par des règlements « fléchés » sur factures, exercera son activité hors du champ de la TVA. A l’inverse, tel groupement d’intérêt public, recevant des subventions sans TVA, évoluera en réalité dans le champ de la TVA, parfois sans le savoir.
Et sans rien demander à personne.
Bien sûr, ces organismes peuvent interroger l’administration fiscale, dans le cadre d’une procédure de rescrit, parfois en passant par leur ministère de tutelle.
Toutefois, bon nombre d’organismes qui encaissent sans TVA leurs subventions ou autres recettes, de leurs « clients », privés ou publics, ne souhaitent pas clarifier leur situation de peur d’avoir à renégocier les lignes budgétaires qui leur sont accordées.
Mais quels sont donc les critères initiés par les textes (Article 13 de la Directive TVA 2006/112/CE du Conseil, du 28/11/2006 et article 256 B du Code général des impôts) et commentés par le maquis de la jurisprudence communautaire, puis nationale (en effet, la CJUE renvoie aux juridictions nationales le soin de définir certaines notions telles les « prérogatives relevant de la puissance publique » ou ce qu’il faut entendre par « distorsions de concurrence »), pour juger si les recettes d’un organisme public peuvent être placées hors du champ de la TVA ?
Un avis du Conseil d’Etat du 12 avril 2019 (avis CE 12-4-2019 n° 427540 FR 31/19 inf. 7 p. 9) est venu heureusement au secours des organismes de droit public en précisant plusieurs notions, de sorte qu’aujourd’hui l’exercice se révèle moins périlleux qu’auparavant.
Il faut se poser les bonnes questions dans l’ordre, suivez le guide :
- Les activités de l’organisme sont-elles des activités économiques réalisées à titres onéreux ?
Si la réponse est non, l’analyse s’arrête là : il n’y aura pas de TVA sur ces recettes, considérées comme « hors champ ». Si la réponse est au contraire positive, il faudra passer à la suite de l’analyse.
Appliquant un critère classique d’assujettissement à la TVA pour tous les acteurs du marché (cf. la jurisprudence communautaire puis nationale, sur la notion de lien direct, initiée par l’arrêt Apple and Pear (CJUE 8-3-1988 aff. 102/86, Appel and Pear Development Council : RJF 8-9/88 n° 970, Rec. 1988/3 p. 1443), il s’agit ici de savoir s’il existe un lien direct entre les recettes perçues par l’organisme et les activités de ce dernier. Ce lien est notamment établi lorsqu’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un échange de prestations réciproques : une subvention versée pour obtenir un résultat identifié à l’avance entre dans le champ de la TVA, alors que si elle est versée pour équilibrer les comptes de l’organisme, elle est hors champ. - L’organisme agit-il en qualité de non-assujetti à la TVA, et donc, est-il bien un organisme public agissant dans le cadre de la puissance publique, lui permettant d’agir comme un non-assujetti, donc sans TVA ?
Ici la jurisprudence communautaire, sur des organismes très variés, a dégagé récemment une ligne de conduite originale et assez claire. Il faut s’attacher à analyser dans le détail le fonctionnement de l’organisme pour vérifier si celui-ci est bien public: est-il suffisamment intégré dans l’organisation de l’administration publique dont il dépend ? Cette question, de fait et de droit à la fois, s’apprécie au cas par cas (cf. notamment pour un cas de non-assujettissement à la TVA la jurisprudence Saudaçor : CJUE 4 e ch., 29-10-2015 aff. 174/14, Saudaçor – Sociedade Gestora de Recursos e Equipamentos da Saúde dos Açores SA : RJF 1/16 n° 104).
Ensuite, il faut encore s’assurer que l’organisme détient bien des prérogatives de puissance publique, comme par exemple, le droit d’exproprier ou le droit d’appliquer des pénalités. La CJUE avait laissée entrouverte une porte, permettant à des organismes ne disposant pas de telles prérogatives, d’être tout de même considérés comme des organismes publics, susceptibles d’agir hors du champ de la TVA. Dans son avis précité de 2019, le Conseil d’Etat précise comment cette marge de manœuvre s’exerce : pour
être considérée comme hors du champ de la TVA, l’activité d’un organisme public doit être accomplie en raison d’une obligation légale ou dans le cadre d’un monopole, ou encore lorsqu’elle relève par nature des attributions d’une personne publique. - Dernier point à vérifier : la non-application de la TVA aux recettes de l’organisme risquerait-elle d’entraîner des distorsions de concurrence ?
Grâce à l’avis précité du Conseil d’Etat, nous savons que ce risque de distorsion doit désormais s’apprécier par rapport à l’activité de l’organisme, que ce dernier soi effectivement confronté à une telle concurrence ou non. Si la concurrence est purement hypothétique par nature (par exemple, dans certains domaines de la recherche) ou parce que les tarifs très bas pratiqués par l’organisme ne permettent pas la présence de concurrents, il sera possible de conclure que l’organisme peut ne pas appliquer de TVA sans provoquer des distorsions de concurrence. Et donc, que les recettes de l’organisme sont hors du champ de la TVA.
À présent que les critères d’assujettissement à la TVA sont clarifiés, les organismes publics ont intérêt à les faire valider par leurs conseils, voire par l’administration fiscale, en exposant leur situation de manière précise et judicieuse.